TikTok encore accusé de voler les données personnelles de centaines de milliers d’enfants

Une enquête des commissariats canadiens à la protection de la vie privée révèle que TikTok a collecté et exploité des données personnelles sensibles de centaines de milliers d’enfants, malgré des mécanismes de vérification d’âge jugés insuffisants et un manque de transparence, tout en s’engageant sous conditions à renforcer ses pratiques face aux risques identifiés pour les mineurs.

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Une enquête conjointe menée par les commissariats à la protection de la vie privée du Canada, du Québec, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique révèle que TikTok a recueilli et utilisé des renseignements personnels sensibles auprès de centaines de milliers d’enfants canadiens, malgré l’interdiction formelle d’accès à la plateforme pour les moins de 13 ans (et 14 ans au Québec). Les conclusions du rapport, rendu public le 23 septembre 2025, soulignent des lacunes majeures dans les mécanismes de vérification d’âge et de protection des mineurs, ainsi qu’un manque de transparence dans les pratiques de collecte et d’utilisation des données.

Des mécanismes de protection jugés insuffisants

Selon les autorités, TikTok supprime chaque année environ 500 000 comptes détenus par des utilisateurs n’ayant pas l’âge requis, mais ce chiffre ne reflète qu’une partie du problème. Le rapport estime que de nombreux enfants continuent d’utiliser la plateforme sans être détectés, notamment ceux qui adoptent un comportement passif (visionnage de vidéos sans publication ni commentaire).

Ces « badauds » représentent la majorité des utilisateurs et échappent souvent aux outils de modération de TikTok. Les enquêteurs ont constaté que, même avant la suppression des comptes mineurs, la plateforme avait déjà collecté des informations détaillées sur leurs activités, y compris des données biométriques comme l’analyse faciale et vocale, ainsi que des données de géolocalisation.

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Les commissaires ont pointé du doigt l’absence de consentement valide et éclairé, tant pour les enfants que pour les adultes, concernant l’étendue de la collecte et de l’exploitation des données. Philippe Dufresne, commissaire à la protection de la vie privée du Canada, a souligné que les pratiques de TikTok ne répondaient ni à un besoin légitime ni à un intérêt proportionné, et que les profils ainsi constitués pouvaient servir à du ciblage publicitaire ou à des recommandations de contenu, avec des risques avérés pour le bien-être des jeunes utilisateurs.

Des données sensibles exploitées à des fins commerciales

L’enquête a mis en lumière l’utilisation par TikTok d’outils d’analyse sophistiqués pour déduire des informations sensibles sur les utilisateurs, telles que leur âge, leur genre, leur pouvoir d’achat, voire des traits plus intimes comme des préférences ou des comportements. Ces données, combinées à la géolocalisation, permettent à la plateforme d’élaborer des profils détaillés, utilisés ensuite pour personnaliser le contenu et les publicités.

Michael Harvey, commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique, a exprimé sa surprise devant l’ampleur de ce profilage, soulignant que même les adultes ignorent souvent l’étendue de ces pratiques.

Parmi les risques identifiés figurent l’exposition à des publicités inappropriées (jeux d’argent, sexualisation précoce, stéréotypes de genre), le vol d’identité, ou encore des atteintes au développement sain des enfants. Le rapport note également que TikTok n’a pas utilisé ses propres outils d’analyse biométrique pour empêcher l’accès des mineurs, mais plutôt pour des finalités commerciales, comme la restriction des diffusions en direct pour les moins de 18 ans.

Des engagements sous conditions

Face à ces constats, TikTok s’est engagé à renforcer ses mesures de vérification d’âge, à clarifier ses communications sur la protection des données, et à limiter le ciblage publicitaire pour les moins de 18 ans. La plateforme a notamment promis d’intégrer de nouveaux modèles de détection basés sur l’analyse des comportements ou des contenus publiés, tout en reconnaissant les limites de ces méthodes pour les utilisateurs passifs. Elle a aussi accepté de préciser dans ses politiques que les données des utilisateurs canadiens peuvent être transférées en Chine, où les lois locales permettent au gouvernement chinois d’y accéder.

Cependant, les commissaires restent prudents. Laurence Grondin-Robillard, professeure associée à l’École des médias de l’UQAM, a qualifié ces mesures d’incomplètes, rappelant que TikTok continue de collecter des données sur des mineurs tant que ceux-ci ne sont pas identifiés. Paul Laurier, ancien enquêteur à la Sûreté du Québec, a quant à lui doute de l’efficacité réelle de ces engagements, évoquant le poids limité du Canada face à une entreprise comme ByteDance, la maison-mère de TikTok.

Un contexte de tensions géopolitiques et réglementaires

Cette enquête s’inscrit dans un climat de méfiance croissante envers TikTok, déjà visé par des mesures de sécurité nationale au Canada et aux États-Unis. En 2024, Ottawa avait ordonné la dissolution de la filiale canadienne de ByteDance, sans pour autant interdire l’application. Les autorités canadiennes insistent sur la nécessité d’une vigilance accrue, tant de la part des régulateurs que des parents, et n’excluent pas de recourir à des procédures judiciaires si les engagements ne sont pas tenus.

Pour Philippe Dufresne, la situation est « résolue sous condition » : les commissariats suivront de près la mise en œuvre des correctifs annoncés. En attendant, les utilisateurs, et particulièrement les familles, sont invités à prendre conscience des risques liés à l’utilisation de la plateforme par les plus jeunes.